Le Manifeste des Femmes pour la Paix
« Je suis une voix de la paix, car si les femmes veulent échapper au masculinisme des traditions religieuses sans renier leur foi, elles sont obligées d’interpréter les textes, de relativiser les pratiques, fussent-elles millénaires. Je suis une voix de la paix parce que je veux œuvrer pour que ma tradition religieuse ne soit pas une forteresse, mais bâtisse des ponts et ouvre des portes, et pour que les textes ne deviennent pas les armes du fanatisme mais des espaces de débat et de questionnement.
« Je suis une voix de la paix parce qu’en ces temps troublés, les peurs se révèlent, les haines se déchaînent. Face à ce qui nous dérange, nous horrifie, nous culpabilise, nous sommes trop souvent tentés par le repli sur nousmêmes, fermés à la complexité de notre monde. Je veux chercher sans relâche à comprendre, sans faiblesse : non pas excuser les failles, les erreurs, les horreurs, mais plutôt identifier les blocages, les frottements inhérents à toute société humaine, afin de pouvoir mieux les dépasser.
« Je suis une voix de la paix parce que je sais que tous les humains sont mes semblables. Daesh prétend détenir la vérité et être supérieur aux autres musulmans, aux juifs, aux chrétiens, et bien entendu aux athées. Je suis une voix de la paix parce que j’ai compris que c’est toujours l’humain qui interprète sa religion : je comprends mon islam à partir de ce que je suis et de ce que je vis. Dans le Coran, Dieu nous dit que lorsque ce sera la fin du monde, il faudra encore planter un arbre. C’est la vie qui prime sur le néant. Pour rester humanisé, il faut rester lié à l’humanité.
« Je suis une voix de la paix parce qu’être laïque c’est refuser les dogmes. La laïcité n’est pas une option spirituelle particulière, mais la condition de l’existence de toutes les options. Être laïque, c’est privilégier le raisonnement, l’esprit critique, la réflexion personnelle pour préparer le dialogue qui conditionne la volonté de vivre ensemble. C’est vouloir vivre en démocratie et en paix. Cette paix doit être établie sur le fondement de la solidarité intellectuelle et morale de l’humanité.
« Je me joins aux voix de la paix parce que j’estime que tout espoir nous est permis. Des attentats inadmissibles nous ont endeuillés, mais en répondant à l’agression par le dialogue, nous démontrons que la violence ou le repli sur soi ne sont pas des fatalités. Nous pouvons espérer aboutir à une paix extérieure si nous commençons par établir la paix en nous-mêmes. Nous avons la chance de vivre en France. Ici, nous pouvons exposer et proposer publiquement nos opinions, politiques ou religieuses. Le respect, de soi, d’autrui, de l’environnement, cela s’apprend.
« Je suis une voix de la paix parce que le spectacle de ces femmes, de ces hommes et de ces enfants jetés sur les routes pour fuir la guerre m’est intolérable. Nous sommes de la même humanité, et leur destin est notre avenir. Je suis une voix de la paix parce que les attentats ne doivent pas donner raison à ceux qui font de la mort leur raison de vivre. Engageons-nous en faveur d’une France solidaire, accueillante, libre et fraternelle, forte parce qu’ouverte à l’Autre
« Je suis une voix de la paix parce que je crois à la force d’un débat d’idées qui refuserait d’éclipser la voix de l’Autre… Au cœur de nos traditions, le féminin a été longtemps le visage de cet effacement. Or un système de pensée ou de croyance qui ne fait pas de place aux femmes n’en fera à aucune altérité. Les voix féminines de nos traditions doivent être entendues. Elles rappellent que tout discours monolithique, dans sa négation de la pluralité des voix, pave la route de tous les fondamentalismes.
« Je suis une voix de la paix parce que nous vivons un moment où il faut donner de la voix pour crever les silences atterrés de ceux qui se résignent à la montée des injustices. Pour couvrir les voix de ceux qui utilisent des mots de peur ou de haine pour rejeter l’Autre, l’étranger. L’étranger, réfugié, immigré, est d’abord une personne humaine avec un nom, une histoire, une famille, avec les mêmes aspirations que nous, les mêmes rêves d’une vie dans la dignité et la sécurité. Nous sommes des voix de la paix quand nous utilisons les mots de solidarité, de fraternité, d’hospitalité et que nous posons des actes derrière les mots.
« Je suis une voix de la paix, parce que j’ai le souvenir de toutes vos guerres. Je suis une femme cousue de peurs. J’ai consigné les noms des enfants que vous m’avez pris. Des terres que vous m’avez saccagées. J’ai dans l’oreille le bruit de vos bottes et le fracas de vos armes. Vous avez fait de moi la veuve et l’orpheline. L’enjeu de batailles dans lesquelles je ne reconnais rien ni personne, même pas mon Seigneur. Aujourd’hui, je veux faire entendre la voix de la paix contre celle de l’épée. Je veux réclamer ma dignité de femme, d’épouse et de mère. Daignez donc que je sorte de ma cuisine pour vous appeler à la raison…Tel sera mon pari. Et celui de toutes les femmes… Au Ve siècle avant J.-C., la Grecque Lysistrata avait lancé cet oracle : « Quand la guerre sera l’affaire des femmes, elle s’appellera la paix. » Que de prières et de larmes faudra-t-il encore pour que notre siècle lui donne raison ! »
Christine PEDOTTI, écrivain, directrice déléguée de la rédaction de Témoignage chrétien
Valentine ZUBER, historienne et sociologue, représentant la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme
Dounia BOUZAR, directrice générale du Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’Islam (CPDSI)
Carole COUPEZ, déléguée aux actions d’éducation à la citoyenneté du collectif associatif Solidarité laïque
Marie-Stella BOUSSEMART, présidente émérite de l’Union bouddhiste de France
Françoise DUMONT, présidente de la Ligue des Droits de l’Homme
Delphine HORVILLEUR, rabbin du Mouvement juif libéral de France
Geneviève JACQUES, présidente de la Cimade
Fawzia ZOUAR, écrivain et journaliste