Projet pédagogique à Asnières
Retour sur notre intervention du mercredi 22 mai 2024, où les Voix de la Paix se sont rendues au Lycée Auguste Renoir à Asnières. Le Rabbin Ann-Gaëlle Attias et la philosophe et islamologue Razika Adnani y ont débattu avec une classe de terminale générale, à la sociologie socialement très mixte, à l’image du lycée.
Le projet pédagogique, intitulé « Projet laïcité et égalité : la place des femmes dans les religions monothéistes », avait été proposé par Caroline Latournerie, professeure d’histoire-géographie, avec l’aval et le soutien du proviseur. Il s’inscrivait dans un programme de longue haleine mené dans le cadre de l’Education morale et civique qui doit amener les élèves à :
● Se confronter à des points de vue opposés et démontrer que le dialogue inter-convictionnel est possible ;
● Faire un pas de côté par rapport à leur posture, à leur opinion souvent tranchée et désamorcer des réactions d’opposition de principe face à des revendications féministes dans un monde religieux très majoritairement masculin ;
● Susciter un questionnement philosophique mais aussi civique et humaniste, à partir de questions auxquelles les élèves avaient travaillé préalablement ;
● Montrer que la laïcité est non seulement protectrice des libertés religieuses, une garantie de l’égalité entre les citoyens mais aussi de l’égalité entre les hommes et les femmes.
► Eh bien, ce fut une rencontre exceptionnelle, un festival de l’intelligence ! L’atmosphère du débat a été très respectueuse (reconnaissons que ce n’est pas toujours le cas), et nos deux intervenantes ont été à la fois percutantes dans leurs réponses, et engagées : puisant dans leur expérience personnelle, ce qui a su toucher les élèves, et offrir ainsi un registre de savoir pertinent face au feu roulant des questions -- pendant plus de deux heures…
Il est impossible de résumer une telle rencontre de manière exhaustive, mais je ferai ressortir ici les points qui nous ont paru intéressant.
► L’importance du témoignage personnel dans des enseignements de cette nature (je veux dire, concernant l’enseignement religieux et la place – ou la non-place, globalement, du religieux dans la société et dans nos vies). Exceptionnel témoignage lorsque Ann-Gaëlle Attias souligne la gigantesque évolution des meurs et de la place des femmes dans les traditions, lorsqu’elle rappelle que sa grand-mère, au Maroc, s’est mariée à l’âge 13 ans – une norme nullement scandaleuse à l’époque dans certains milieux… ! Exceptionnel témoignage aussi, lorsque Razika Adnani – qui soit dit en passant ne parle pas « au nom de l’islam », et ne dira rien de sa « foi » supposée ou réelle, pour mieux développer des arguments de pure raison philosophique -- décrit le monde de ses parents dans l’Algérie des années 50, où sa mère, portée par les idéaux de la Nahda, la « renaissance arabe », ne portait nullement le voile mais au contraire vibrait aux horizons d’émancipation que vivaient les femmes de sa génération… Ces paroles originales, ancrée dans une expérience personnelle, et n’entrant nullement dans des « cases » où on les attendrait, marquent profondément les élèves.
► Sur l’évolution des sociétés arabes, justement, vers un conservatisme devenu entre-temps offensif et visant nos sociétés occidentales, réquisitoire, là-aussi, impitoyable et « clinique » de Razika Adnani sur ses stades d’évolution. Je ne retracerai pas ici toutes les phases de son raisonnement, je préfère renvoyer à ses nombreux ouvrages sur le sujet (notamment « Islam : quel problème ? Les défis de la réforme »). Disons qu’à la facilité de la posture anti-coloniale, dès les années 50, toujours très mobilisatrice dans le monde arabe, la manne pétrolière, à partir des années 70, a donné une puissance de frappe considérable.
► Evidemment, chez les jeunes filles de cet âge (terminale), la question du voile a été abordée. Et, ce qui est intéressant, pas nécessairement de manière agressive comme ce fut le cas lors de rencontres précédentes (« Le voile est essentiel à mon identité musulmane, et vous n’avez qu’à le supporter »), mais à partir d’un questionnement indexé sur un vrai changement de génération. Disons que les jeunes ne comprennent pas vraiment – et ils / elles ne le comprennent pas, « sincèrement » -- la position féministe des femmes des générations antérieures qui se sont battues contre le patriarcat et les injonctions religieuses, qui plus est à partir d’un horizon universaliste où aucune différence n’était faite entre des femmes d’horizon culturels différents. Par contraste, le prisme premier chez ces jeunes, c’est le prisme individualisme, la « liberté de m’habiller comme je veux », et les jeunes filles – musulmanes ou pas, d’ailleurs -- ont du mal à percevoir que porter le voile peut être compris, dans la culture française, comme un signe de soumission, disons, a minima, de « non émancipation ». Sur l’injonction religieuse à proprement parler, Razika Adnani a démonté, à partir des trois occurrences coraniques où apparaît la possibilité d’une obligation pour la femme de se couvrir les cheveux…. qu’il n’en était rien ! Aucun verset coranique ne parle explicitement du voile ni de l’obligation se couvrir les cheveux.
► Autre idée (aussi pour préciser que l’islam n’a nullement monopolisé le débat), des phases très intéressantes du débat ont aussi porté sur la différence d’expression du « religieux », justement, dans l’islam et le judaïsme par apport au christianisme. Pour le judaïsme, a rappelé Ann-Gaëlle, la question de la foi n’est pas centrale, mais plutôt celle de l’étude, et de l’appartenance à une histoire, à une culture. Dans notre culture française parfois « laïciste » -- parfois extrême, qui tend à réduire les religions aux seuls angles de la « foi » et du « culte « (une réduction décalquée sur le modèle oppositif que les « bouffeurs de curé » ont connu dans l’histoire française, forgée au conflit avec l’Eglise catholique), ce déplacement de perspective est central. Il est toujours souvent ignoré, et mal compris, de nombreux combattants de la laïcité, dont les arguments bénéficieraient pourtant d’un surcroît de pertinence s’ils s’avisaient de sortir de leur ignorance à ce sujet.
► Enfin, la question de la radicalité a été aussi abordée. La parole de nos intervenantes a résonné fort, ici. Razika Adnani a rappelé que « seule la radicalité a un problème avec la laïcité. Parce que la laïcité demande au bout d'un moment, de faire du compromis. Je ne vais pas demander à la société de se transformer pour mes besoins. » Ann-Gaëlle Attias a renchéri : « La radicalité, c’est quand à la loi du pays j'oppose ce que Dieu a dit. Pourtant je ne vis pas dans le monde de Dieu mais dans le monde des hommes, et c’est ce qu’Il nous demande ! ». Et nos intervenantes de conclure : « Pour vivre tous ensemble, c'est le droit de la raison et l’Etat qui doit organiser la société. »
► Ce compte-rendu est terriblement réducteur par rapport à la richesse des échanges vécue. Qu’il nous soit néanmoins permis de dire combien ces rencontres avec des élèves de l’école publique, menées sur une base inter-convictionnelle, à la demande des professeurs et en respect de programmes pensés et dirigés par eux, sont devenus absolument nécessaires dans le monde où nous vivons, où les identités sont à vivres, et nourries de slogans plus que de réflexions. Par la qualité, l’intelligence et le savoir d’intervenantes telles que Razika Adnani et Ann-Gaëlle Attias, nous avons, nous en sommes certains, éclairé ces jeunes. Et nous avons aussi appris d’eux, notamment la certitude que c’est par le dialogue entre générations que l’on crée un monde commun.
► Témoignage Ann-Gaëlle Attias
Une expérience formidable d’échange avec des élèves prometteurs capables d’entendre des points de vue différents tout en assumant leurs convictions. Félicitations à eux et aux professeurs qui ont su les former à cela. En temps où le sens des mots nuance, respect et bienveillance me semblait devenir des concepts oubliés, ces jeunes m’ont donné une leçon d’espoir. Comme hier les hébreux au pieds du Mont Sinaï, aujourd’hui en France dans notre République si précieuse, il est bon de pouvoir continuer à dire : « Nos enfants seront nos garants » (Midrach Chir Hachirim Rabba).
► Témoignage Razika Adnani
Je suis très heureuse de la rencontre que j’ai eue, aux côtés du Rabbin Ann Gaelle Attias, avec les élèves, classe de terminale générale, du lycée Auguste Renoir à Asnières qui ont révélé par leurs questions leur désir de savoir, leur profonde curiosité et leur grande maturité. Des questions qui nous ont emmenés à aborder l’islam comme sujet de réflexion moral, juridique et politique.